Tuto anti-répression : Comment disparaître des fichiers de l’Etat?

Depuis plusieurs années, les militant·es font face à une répression accrue par les forces de police et de justice… On n’est plus étonné·es d’entendre qu’un·e camarade est en garde à vue (GAV), que d’autres ont passé trois heures nassé·es ou sont convoqué·es au tribunal. Cette répression s’accompagne d’une multiplication des occasions de se retrouver dans les fichiers de la police et de la justice. Petit guide pratique pour en faire supprimer nos traces.

Alors que la crise du capitalisme s’intensifie, l’ordre bourgeois ne peut plus être maintenu par le simple consentement des personnes, et la répression autoritaire et violente devient nécessaire. ­Cette inflation répressive est passée par la (re)mise au goût du jour de certaines pratiques policières et le développement de nouveaux outils pénaux comme le fameux délit de « groupement en vue de commettre des violences » qui sert à arrêter à peu près n’importe qui.

Mais pour être opérants, les services de l’État ont également besoin d’effectuer un fichage de plus en plus intensif de la population, et des militant·es en particulier. Cela se manifeste par le développement de davantage de fichiers, de leur champs d’application, de la quantité de données qu’ils contiennent et leur durée de conservation.

Ce fichage de masse des militant·es, loin d’être anodin, est un vrai danger individuel et collectif. Individuel d’abord, en augmentant le risque d’avancer dans la chaîne pénale lors d’une prochaine arrestation (on peut supposer que des policiers auront plus de volonté de vous amener en GAV si la reconnaissance faciale ­montre que vous êtes déjà présent·es dans les fichiers de ­police). Collectif ensuite, en permettant aux services de police et de renseignement de mieux maîtriser la cartographie militante, les liens interpersonnels, et donc d’améliorer leur répression des mouvements sociaux qui cherchent à renverser l’ordre social.

Ce phénomène est d’autant plus inquiétant en ce moment que l’avenir politique est particulièrement incertain, et qu’on ne sait pas entre quelles mains ces informations vont tomber. Pour se prémunir autant que possible du pire, il s’avère nécessaire de se soustraire aux fichiers de la police et de la justice et ainsi tenter de limiter les dégâts en cas d’accession des partis fascistes au pouvoir.

L’objectif de cet article est donc de vous donner quelques pistes pour vous mettre en mouvement pour réaliser cet effacement. Le format étant restreint, il renvoit à des sources extérieures permettant de compléter vos demandes (modèles de lettres …). Ces procédures étant particulièrement longues et pénibles, il est fortement recommandé d’organiser des ateliers collectifs !

Identifier les fichiers qui pourraient vous concerner

Les fichiers étatiques sont tentaculaires. Pas un seul élément de notre vie ne leur échappe [1]. On s’intéresse ici uniquement aux fichiers de la police et de la justice. Cet article n’aborde pas les fichiers de renseignement (fichiers des personnes recherchées, fichiers de prévention des atteintes à la sécurité publique…) vu la faible chance d’obtenir des réponses positives à nos demandes. Cependant, il reste important de continuer à demander l’accès à ces fichiers et leur effacement [2]. Pour pouvoir identifier les fichiers dans lesquels vous pourriez être présent·es, listez toutes les situations où vous avez pu être en contact avec la police ou la justice.

Le 30 janvier 2021, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté contre la loi sécurité globale qui ouvre la voie à la reconnaissance faciale généralisée et à la suveillance de masse de nos rues par drones. MARTIN NODA/HANS LUCAS

Le TAJ, 19 millions de fiches

Le Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) est le fichier le plus massif. Il est commun à la police et à la gendarmerie et regroupe quasiment 19 millions de personnes mises en cause, et plus encore de victimes. Cela représente plus d’un quart de la population française.

Vous êtes présent·es dans le fichier si vous avez été suspecté·es d’avoir commis une infraction en tant qu’auteur·ice ou complice, ou en tant que victime de l’infraction. Vous y êtes automatiquement en cas de GAV (même si vous êtes sorti·es sans poursuites) et peut-être même simplement après un contrôle d’identité. Vous pourriez être dans le TAJ sans le savoir et découvrir en demandant accès au fichier ­qu’une enquête préliminaire vous concernant est en cours. Vous avez hâte ?

Les informations contenues dans le fichier sont extrêmement vastes. Celui-ci peut contenir : identité, surnom, alias, situation familiale, filiation, nationalité, adresses, adresses de messagerie électronique, numéros de téléphone, date et lieu de naissance, profession, état de la personne… Et pour les mis·es en cause, leur signalement et des photographies, notamment pour recourir à un dispositif de reconnaissance faciale. Par défaut, ces données sont conservées vingt ans.

Le FAED et le FNAEG : biométrie pour toustes

6,2 millions de personnes sont enregistrées dans le Fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) et 2,9 millions dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) – dont une partie d’empreintes non identifiées. C’est quasiment 10% de la population. On y retrouve toutes les personnes qui ont donné leurs empreintes digitales et palmaires (FAED) ou leur ADN (FNAEG) ou à qui on les a prises de force dans le cadre d’une procédure judiciaire. Ces informations sont conservées vingt-cinq ou quarante ans pour le FNAEG, vingt-cinq ans pour le FAED.

Les services de police et de gendarmerie ont l’autorisation d’effectuer une recherche d’identité à partir d’une empreinte digitale ou d’un ADN inconnu dans le FAED et le FNAEG. Par exemple, si une empreinte digitale est retrouvée sur une bombe de peinture ayant servi à décorer nos rues d’un joli tag, la police a l’autorisation de comparer cette empreinte avec toutes celles déjà contenues dans le FAED pour identifier l’éventuel·le auteur·ice du dit tag.

CASSIOPEE

Poursuivons notre avancée dans la chaîne pénale. Le contrôle d’identité, la GAV, la prise d’empreintes : vous voilà maintenant entre les mains du système judiciaire. Et CASSIOPEE fait son entrée. C’est un fichier qui permet le suivi des procédure judi­ciaires. Il est alimenté par les logiciels de rédaction des procédures de la police (LRPPN) et de la gendarmerie (LRGPN) mais ne peut pas être consulté par eux. Il n’est accessible qu’au personnel judiciaire (juges, avocats, éducateurs de la PJJ…). Les données y sont conservées entre dix et trente ans selon si on a été condamné·e et le type d’infractions.

Casier partout, justice nulle part

Pas de bol, vous avez été condamné·es. Mettre le feu au tribunal ne permettra malheureusement pas de ­brûler les fichiers. Il faut donc faire autrement et accéder au Casier judiciaire national automatisé (CNJA). Il se divise en trois parties : B1, B2 et B3.

Le B1 contient toutes les peines auxquelles vous avez été condamné·es, ainsi que les ordonnances, compositions pénales et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ; il n’est effaçable que pour les personnes de moins de 21 ans.

Le B2 contient les même éléments, à l’exception des peines légères et des peines dont le sursis est expiré, et de ­celles dont le juge a explicitement accordé la non inscription au B2. Il est accessible pour certains employeurs. Si vous n’avez pas demandé au moment du procès la non inscription de votre condamnation au B2, il est possible de le faire six mois (ou plus) après le jugement.

Enfin, le B3 contient les même éléments que le B2 à l’exception des peines de moins de deux ans de prison. Il n’est consultable que par soi-même mais n’importe quel employeur peut en demander une copie au moment de l’embauche. Il est possible de demander sa suppression avant le délai de quarante ans réglementaire. Pour toute demande concernant votre casier B2 ou B3, faites vous accompagner d’un·e avocat·e. Les avertissements pénal probatoires (anciennement rappels à la loi) ne sont pas inscrits au casier judiciaire, uniquement au TAJ.

GendNotes, le Pronote des gendarmes

GendNotes est un logiciel de prise de note utilisé par les gendarmes. Ils peuvent y consigner absolument toutes les informations personnelles vous concernant, dont des photos, vos opinions politiques, votre « origine raciale » et même vos appartenances syndicales. Une fois collectées, ces données sont accessibles par les gendarmes, mais aussi par les préfets et les maires ! Les données y sont conservées au maximum un an.

Vers l’effacement de votre présence dans les fichiers

Une fois une liste de fichiers potentiels constituée, la procédure d’effacement se déroule en trois étapes, parfois quatre !

  • 1. Exercer son droit d’accès au fichier auprès de l’autorité compétente. Une réponse est attendue dans les deux mois ;
  • 2. Demander l’effacement ;
  • 3. En cas de refus ou d’absence de réponse dans les deux mois, un recours peut être réalisé dans un délai d’un mois auprès de l’autorité compétente (attention, délais différents pour certains fichiers, c’est précisé) ;
  • 4. Vérification : il est conseillé de réitérer la première étape quelques semaines après l’accord de l’effacement pour vérifier qu’il est effectif !
Modèle de lettre pour demander l’accès aux fichiers FAED et FNAEG.

Hélas, les autorités compétentes varient suivant les fichiers, il faut donc renouveler l’opération pour chaque fichier (voir la colonne ci-contre). Notez aussi qu’il ne faut pas réaliser les demandes immédiatement après les faits. Un délais de quelques mois est parfois nécessaires pour que vous apparaissiez effectivement dans les fichiers. Une demande réalisée trop tôt peu amener une réponse faussement négative. De même, inutile de demander l’effacement pour des procédures en cours, il sera systématiquement rejeté. Enfin, avoir été arrêté·e plusieurs fois peut mener à plusieurs mentions dans un même fichier. Il faut alors généralement demander l’effacement pour chaque mention de manière spécifique, parfois auprès d’autorités différentes (par exemple auprès de plusieurs procureurs).

Prévoyez un petit budget, car les demandes doivent systématiquement être adressées par courrier recommandé avec accusé de réception. Il faut y mettre une ­lettre  [3] qui explique votre demande avec une copie de votre pièce d’identité. Organisez-vous à plusieurs pour vous faciliter la tâche et augmenter votre motivation pour aller au bout des démarches !

Camille (sympathisante UCL)


Petit annuaire du défichage

Chaque fichier demande d’envoyer des demandes de consultation et de suppression et ses recours à des adresses spécifiques. Voici celles des fichiers évoqués :

TAJ

Consultation et demande d’effacement au ministère de l’Intérieur, Place Beauvau, 75008 Paris. Recours : Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), 3 place de Fontenoy, 75007 Paris. Attention : demandez clairement à obtenir une copie des photos et à les inclure dans la demande d’effacement. Si vous avez été condamné·es avec inscription au B2 (casier judiciaire), il faut d’abord réaliser la demande d’effacement du B2 avant l’effacement du TAJ.

FNAEG et FAED

Consultation : Service central de la Police technique et scientifique, 31 avenue Franklin Roosevelt, 69134 Ecully cedex. Effacement : auprès du procureur de la République du tribunal judiciaire compétent pour votre domicile ou, pour le FNAEG, du lieu où a eu lieu le prélèvement. Pour les personnes condamnées, un délai après la condamnation doit être respecté avant la demande (3, 7 ou 10 ans selon le type d’infraction). Recours : doit se faire dans les dix jours qui suivent le refus ou en l’absence de réponse dans un délai de trois mois et dix jours après la réception de la demande, auprès du Juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de votre domicile. À ce stade, mieux vaut se faire aider par un·e avocat·e. Et cas de nouveau refus ou d’absence de réponse sous deux mois du JLD, un nouveau recours peut être effectué auprès du Président de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel.

CASSIOPEE

Consultation et effacement : procureur de la République de votre domicile. Recours : devant la CNIL ou devant le JLD puis, en dernier recours, la Chambre de l’instruction.

GendNotes

Consultation et effacement : Direction générale de la Gendarmerie nationale, 4 rue Claude Bernard, CS60003, 92136 Issy les Moulineaux cedex.


Prévenir les évolutions de la loi : le cas du TES

À ce jour, la recherche d’identité à partir de photos ou d’empreintes digitales n’est possible respectivement que dans le TAJ et le FAED. Mais les Titres électroniques sécurisés (TES) pourrait à l’avenir servir à cela également. Créé sous François Hollande, ce fichier regroupe toutes les informations recueillies au moment de réaliser des cartes d’identité et des passeports, y compris les photos et empreintes digitales.

Aujourd’hui le fichier n’est pas utilisable pour une recherche d’identité par reconnaissance faciale ou comparaison d’empreintes digitales, mais l’infrastructure technique existe et une simple évolution de la loi par décret pourrait rendre cette recherche possible. Par ailleurs, il semblerait que les forces de l’ordre exploitent les photos présentent dans les TES pour les utiliser dans des fichiers qui, eux, autorisent la reconnaissance faciale, comme le TAJ.

Actuellement, le fichier (à l’exception des empreintes digitales) est accessible à la police et la gendarmerie uniquement dans certains « cas particuliers », mais leur interprétation peut-être très large. On peut donc estimer que toutes les activités militantes vaguement révolutionnaires peuvent aujourd’hui entraîner une recherche dans les TES et donc peut être demain une recherche avec reconnaissance faciale ou comparaison d’empreintes digitales.

Il n’est pas possible de demander l’effacement des données contenues dans les TES et elles sont conservées selon les cas quinze ou vingt ans. Par contre, il est possible de demander lors d’une prochaine demande de carte d’identité, que vos empreintes ne soient conservées que 90 jours. Cette demande ne peut être effectuée QUE au moment de la demande de carte en mairie. Aucune rectification ultérieure n’est possible. Par ailleurs, cette possibilité n’existe pas dans le cas des passeports. Je souhaite recevoir l’infolettre hebdomadaire. *Votre adresse e-mail *

[1] Voir la carte établie par Le Monde Diplomatique sur la base d’un premier travail de la Revue Z : «  Tous fichés  !  », par Cécile Marin et Jérôme Thorel.

[2] Pour plus d’information sur les fichiers cités dans cette articles et sur les autres, voir «  Les grands fichiers en fiches  » sur le site de la CNIL et la brochure «  Comment s’extraire des fichiers policiers  » par le collectif Désarmons-les  !.

[3] Modèles de lettres parfois dans un format modifiable : «  Actions collectives contre le fichage policier  », Paris-luttes.info, 30 septembre 2018. Plus de modèles mais à recopier manuellement : «  La folle volonté de tout contrôler et un atelier collectif pour sortir des fichiers  », Rebellyon.info,8 décembre 2021.