Syrie : offensive islamiste, Assad dépassé, la gauche kurde en difficulté
C’est une répercussion spectaculaire de la guerre en Ukraine et au Liban : la relance des opérations militaires dans le nord-ouest de la Syrie. La chute d’Alep en quelques heures et la débandade de l’armée de Bachar el-Assad ont surpris tout le monde. Mais les forces de gauche ont également subi des revers importants.
Depuis 2019, prévalait dans le nord-ouest de la Syrie une forme de statu quo, avec des lignes de front gelées :
- la région d’Idlib était sous le contrôle de Hayat Tharir al-Cham (HTS), une organisation islamiste issue du djihadisme, soutenue un temps par Ankara et par les pétromonarchies du Golfe, et dont l’ennemi principal est le régime de Bachar el-Assad ;
- le canton d’Afrîn et une bande frontalière de la Turquie était sous le contrôle l’Armée nationale syrienne (ANS), une coalition de milices islamistes téléguidées par Ankara. En 2018, l’ANS s’était emparé du canton kurde d’Afrîn avec l’appui de l’armée turque, et y avait procédé à une épuration ethnique. Son ennemi principal est le peuple kurde, puis le régime Assad ;
- les Forces démocratiques syriennes (FDS, arabo-kurdes, de gauche) tenaient deux poches autonomes, coupées du reste du Rojava : le quartier kurde d’Alep, nommé Cheikh Maqsoud ; la ville de Tell Rifat et ses environs, où survivaient en 2021 près de 120 000 réfugié·es d’Afrîn. Leur ennemi principal, ce sont les djihadistes et le régime d’Erdogan ;
- l’Armée arabe syrienne (AAS) de Bachar el-Assad, encadrée par les Russes et les Iraniens, encerclait la région d’Idlib, régulièrement bombardée par l’aviation russe.
Depuis le 27 novembre, ce statu quo vole en éclats.
La chute d’Alep en quelques heures
Les islamistes de HTS, de leur propre initiative, se sont lancés à l’assaut d’Alep, puis de Hama. Erdogan a protesté qu’il n’y était pour rien. En revanche ses supplétifs de l’ANS en ont profité pour lancer une offensive contre les FDS et Tell Rifat, et cette fois semble-t-il avec l’appui de l’artillerie turque.
Alors que ses deux parrains, Moscou et Téhéran, sont occupés ailleurs, le régime de Bachar el-Assad révèle sa vurnérabilité. La grande ville d’Alep, qu’il avait mis des années à reconquérir en 2016, avec l’appui des milices iraniennes et de l’aviation russe, est tombée en quelques heures. L’Armée assadiste s’est effondrée de façon spectaculaire, prenant la fuite en abandonnant son matériel.
La gauche kurde subit des revers
Les FDS ont tenté de combler le vide en prenant le contrôle de l’aéroport d’Alep pendant quelques heures pour stopper HTS. Mais, en raison de l’offensive simultanée de l’ANS sur Tell Rifat, les FDS ont dû évacuer. Le quartier kurde d’Alep, Cheickh Maqsoud, est encerclé par les islamistes, qui ont proposé aux FDS une évacuation vers Raqqa et Manbij. Les négociations sont en cours.
La situation est plus critique à Tell Rifat : les islamistes proturcs de l’ANS ont pris le contrôle de la ville et des camps de réfugié·es, et les FDS négocient une évacuation des populations vers Manbij et le Rojava : au moins 120.000 personnes sont concernées.
Ces bouleversements ont fait ressurgir des manifestations anti-Assad au sud de la Syrie, dans la région de Deraa, berceau de la révolution syrienne de 2011, où opérait jadis le « Front du Sud », plutôt libéral-démocrate, soutenu par les États-Unis et Israël, puis lâché par ces États en 2018, et soumis par Assad, les Russes et le Hezbollah.
Vers une nouvelle mêlée inter-impérialiste ?
Cette situation nouvelle crée des difficultés supplémentaires au Kremlin, déjà enlisé en Ukraine, et à l’État iranien, dont le bras armé au Liban et en Syrie ‒ le Hezbollah ‒ a été laminé par Israël depuis des mois.
Et ces difficultés supplémentaires sont dans l’intérêt des États-Unis, d’Israël et de leurs alliés européens.
Un nouvel affrontement inter-impérialiste est donc possible en Syrie. La principale victime en sera le peuple syrien, tant les principales forces en conflit (HTS, ANS, régime Assad…) relèvent du même registre raciste et criminel. Et les FDS arabo-kurdes (gauche démocratique) ont pour l’heure subi d’importants revers. La situation est inquiétante pour l’Administration autonome du nord-est de la Syrie, qui tente de faire vivre une alternative confédéraliste et égalitaire dans la région.
L’Union communiste libertaire suit la situation de près, et appelle d’ores et déjà à participer à la manifestation européenne de solidarité avec la gauche kurde à Paris, le 11 janvier 2025.
Union communiste libertaire, le 2 décembre 2024
- Lire aussi : « L’UCL et le soutien à la gauche kurde », mai 2021