Pour une Palestine libre et démocratique
Pour tenter de comprendre la situation en Israël, voici une analyse libertaire.
Le conflit israélo-palestinien est une guerre coloniale, opposant un État impérialiste à un peuple spolié. Croire que, d’un côté comme de l’autre, les motivations religieuses ou les intérêts économiques y sont essentielles serait se leurrer. Orientation fédérale adoptée par l’UCL en juin 2020.
Israël, un État colonial
La classe dirigeante israélienne, et l’essentiel de la classe politique, sont profondément imprégnées d’une idéologie nationaliste et colonialiste, le sionisme. Cette idéologie est née dans un contexte de développement de l’antisémitisme et du nationalisme en Europe. À la différence des courants assimilationnistes ou révolutionnaires, les courants sionistes considéraient l’antisémitisme comme inéluctable tant que les juifs et juives resteraient partout minoritaires et ont eu pour objectif historique de constituer une majorité nationale juive en Palestine, ce qui est passé par l’expulsion des Palestiniennes et Palestiniens tout au long du processus colonial, et par une politique d’épuration ethnique.
Dans cette continuité, la classe dirigeante israélienne actuelle a pour objectif de maintenir un État sur des bases ethno-nationalistes dans lequel la majorité nationale reste juive. Une partie de cette classe dirigeante a même pour projet politique l’exclusion totale des minorités arabes et druzes : la loi de 2018 sur « l’État-nation du peuple juif » est la conséquence inéluctable de la politique menée avec constance depuis 1948.
Pourtant, loin d’être homogène, la société israélienne, modelée par la guerre et la recherche d’une identité, est communautarisée à l’extrême. Les Arabes israélien·nes – y compris les Druzes – sont considéré·es comme des « sous-citoyen·nes » et ne bénéficient pas des mêmes droits que les Israéliennes et israéliens juifs. Au sein même de la population juive, d’importantes tensions existent entre les Ashkénazes, les Séfarades, les Mizrahim et les Juives et Juifs éthiopiens. Le pôle anticolonialiste et antiraciste, bien que très minoritaire, représente un des soutiens concrets les plus directs au peuple palestinien. À l’autre bout, les courants nationalistes-religieux et le lobby des colons constituent un pôle ultranationaliste, homophobe, patriarcal et jusqu’au-boutiste qui pèse de plus en plus sur l’État israélien.
L’expansionnisme sioniste ne répond pas seulement aux caractéristiques d’une guerre de conquête. Il s’est constamment doublé d’une politique d’épuration ethnique. Pendant la guerre de 1948, en poussant des centaines de milliers de civil·es palestinien·nes à l’exode sans retour. À l’issue de la guerre de 1967, en évitant d’annexer la Cisjordanie et Gaza – ce qui aurait obligé Israël à conférer la citoyenneté à ses habitant·es – mais en se contentant d’occuper militairement ces régions, privant ses habitant·es de tout droit. Avec l’arrivée au pouvoir du Likoud (1977), le discours ethno-nationaliste s’est renforcé et la colonisation de la Cisjordanie s’est intensifiée. La politique de colonisation forcée de Jérusalem-Est est la démonstration qu’une politique d’épuration ethnique peut également se mener en temps de « paix ».
La religion n’a pas joué de rôle dans l’émergence du sionisme, qui définit la judéité comme une nationalité, sur le modèle ethno-nationaliste. La création de l’État d’Israël a amené une partie des courants religieux qui lui étaient initialement opposés à s’y rallier dans une « synthèse nationale-religieuse », qui entend justifier l’existence de l’État a posteriori par des arguments religieux globalement absents du projet sioniste initial. Les nationalistes « laïques », eux, justifient la construction de l’État israélien au nom d’un royaume hébreu ayant existé sur ce territoire il y a 2.500 ans.
Les intérêts économiques ne sont pas non plus la cause première de l’expansionnisme israélien. Sur le fond, la politique expansionniste des sionistes est typique de ces situations rares où l’idéologie l’emporte sur la rationalité économique. Le coût économique et social de la colonisation et de l’occupation militaire est sans commune mesure avec les quelques avantages que peuvent représenter le contrôle de ressources naturelles et d’un prolétariat palestinien privé de droits.
L’un des ressorts majeurs de cette idéologie au sein de la diaspora juive et de la population israélienne est la peur d’un nouveau génocide, qui amène à considérer comme essentiel le maintien d’une « majorité nationale » juive dans un « État refuge », Israël, quel qu’en soit le prix. Pourtant, loin de représenter un refuge face à l’antisémitisme, cette politique contribue à l’isolement de la minorité juive dans les autres pays, et entraîne la population israélienne dans une fuite en avant guerrière et coloniale. Elle évacue la question essentielle de la lutte contre l’antisémitisme, en voulant la subordonner à un soutien à l’État israélien, et évacue aussi d’autres questions comme le « droit au retour » dans leur pays d’origine des minorités juives mizrahim et séfarades dont la culture arabe/perse/kurde… est niée.
Cependant, le colonialisme israélien a un intérêt économique et géostratégique majeur pour les impérialistes occidentaux : du mandat britannique à la création de l’État d’Israël, soutenue aussi bien par l’Occident que par l’URSS, ces derniers ont toujours souhaité garder sous contrôle le Proche et Moyen-Orient, enjeu géostratégique et économique majeur.
Le peuple palestinien, en lutte pour ses droits
Le peuple palestinien, dans toutes ses composantes, se bat avant tout pour ses droits. Les Palestiniennes et Palestiniens dits « de 48 » (Arabes israélien·nes, dont les bédouins) se battent pour l’égalité des droits et contre les discriminations. Celles et ceux de Cisjordanie et de la bande de Gaza se battent contre l’occupation militaire et pour la souveraineté sur leurs terres. Les réfugié·es se battent pour le droit au retour ou une indemnisation pour les préjudices subis. Même si les priorités de ces composantes peuvent diverger, une solidarité profonde les lie face à l’oppression.
cc Seb Godeffroy
Aujourd’hui, la résistance palestinienne est essentiellement une résistance civile et pacifique. Militairement, l’Autorité palestinienne – comme avant elle et l’Organisation de libération de la Palestine – ne pèse guère face à Israël. C’est cette incapacité à gagner leur indépendance par les armes qui a pu pousser de jeunes Palestinien·nes désespéré·es à devenir des « martyr·es » dans des attentats-suicides.
Là encore, la religion n’était pas la motivation essentielle. Jérusalem et la mosquée Al-Aqsa sont avant tout des symboles nationaux. La résistance palestinienne formée dans les camps entre 1948 et 1967, était profondément laïque, à l’image de la majorité du peuple palestinien où musulman·es et chrétien·nes de toutes obédiences vivent en bonne intelligence. Le projet de « Palestine démocratique », porté par l’OLP de 1969 à 1993, évoquait un pays unique, laïque, dont les citoyennes et les citoyens, qu’ils soient athées ou de confessions juive, musulmane ou chrétienne, pourraient vivre dans la liberté et l’égalité. Ce projet se voulait l’antithèse de l’État ethnique discriminatoire incarné par Israël.
Les intérêts économiques que peut avoir le peuple palestinien à son émancipation vont de soi : droits sociaux, droit de cultiver sa terre, droit de prendre la mer, liberté de circulation, récupération ou indemnisation pour les biens spoliés, etc. C’est l’échec de la réalisation de ce projet laïc qui a ouvert la voie à des courant « nationaux-religieux » comme le Hamas et le Djihad islamique, initialement regardés avec bienveillance par l’État israélien qui y a vu l’opportunité d’éloigner toute perspective de solution en rupture avec l’ethno-nationalisme.
Le peuple palestinien seul face à l’occupant
La résistance palestinienne est aujourd’hui seule face à l’expansionnisme sioniste.
Elle n’a rien à attendre des puissances impérialistes occidentales. Le son de cloche est similaire en ce qui concerne les États de la région. S’ils se sont servi de la lutte palestinienne, ils ne l’ont que rarement servie. La Jordanie, l’Arabie Saoudite, le Qatar comme l’Égypte ou la Syrie, ont été excédés par l’indépendance dont la résistance palestinienne a su faire preuve à leur égard.
Ils l’ont parfois combattue par les armes, en perpétrant des massacres comme celui de Septembre noir, en 1970. Aujourd’hui, malgré la pression de leurs opinions publiques, ces États préfèrent normaliser leurs relations avec l’État sioniste. […]
L’aide internationale la plus sincère dont puisse bénéficier le peuple palestinien viendra de la société civile, dans les pays de la région, aux États-Unis, en Europe, en Israël même. C’est de l’action des anticolonialistes israéliens que les Palestiniennes et Palestiniens peuvent d’ailleurs attendre le plus.
La résistance populaire ne peut malheureusement pas se reposer sur l’Autorité palestinienne, critiquée et considérée comme illégitime par une grande partie de la population palestinienne du fait de sa collaboration avec l’occupant, et en concurrence avec le « gouvernement » du Hamas dans la bande de Gaza.
La laïcité, la liberté, l’égalité : un projet pour la Palestine
La paix ne pourra se faire sans justice. C’est la raison pour laquelle de « deal du siècle » brandi par Donald Trump n’aboutira à rien d’autre qu’à une surenchère coloniale. Essayer d’obtenir la paix sans répondre aux aspirations profondes d’autonomie et de reconnaissance du peuple palestinien ne pourra conduire qu’à l’échec, la désillusion et, de nouveau, à l’insurrection populaire. Des hypothèses de solution immédiates au conflit.
Des hypothèses de solution immédiates au conflit :
- La création d’un État palestinien. Cette concession acceptée par l’OLP à Oslo en 1993 est un triste recul par rapport au projet initial de « Palestine démocratique ». Elle reconnaît l’existence de l’État d’Israël et la nécessité d’une partition ethnique. Un État est aujourd’hui l’objectif de court terme de la résistance palestinienne, qui permettra un minimum de sécurité dans des frontières internationalement reconnues. Mais cette solution semble aujourd’hui impossible du fait le l’ampleur de la colonisation, la viabilité d’un tel État, grand comme un département français et sans continuité territoriale, étant plus que douteuse.
- La naissance d’une fédération israélo-palestinienne. Dans des frontières uniques, deux entités juridiques, une « israélienne » et une « palestinienne ». Ce projet a l’avantage de garantir l’autonomie culturelle et l’égalité en droits de deux peuples qui se pensent différents, et notamment de répondre à l’aspiration profonde des Israélien·nes à un « foyer national juif ». Mais sur le long terme, il représente un risque de dérive à la libanaise, avec son morcellement communautaire.
Ces deux projets ont essentiellement une valeur tactique. Non antagonistes, ils expriment ce qui peut être possible, par étapes, dans une situation donnée, à un moment donné. Ils ne doivent pas focaliser les débats car, en eux-mêmes, ils ne satisferaient pas les attentes palestiniennes – ils ne répondent pas, par exemple, à la question cruciale des réfugié·es et de leurs droits, question qui tant qu’elle ne sera pas réglée sera source de conflit majeur.
- Un pays unique, laïc et démocratique, qui ne pourrait avoir pour nom « Israël » reste la seule solution politique à même d’assurer la paix et l’égalité entre tous et toutes les citoyens, quelle que soit leur appartenance culturelle. Cette solution, si elle peut sembler hors de portée dans la période, reste de mise pour toutes et tous les militants, Israéliens comme palestiniens, hostiles à la ségrégation ethnique et au racisme d’État. La présence de forces politiques en Israël comme en Palestine, ayant une interprétation religieuse et raciste du conflit, menace un tel projet. En retour, la réconciliation, la paix, l’égalité et la laïcité sont les meilleures armes pour combattre ces intégrismes.
- La perspective d’une « fédération du Moyen-Orient socialiste », si elle n’est pas une condition préalable à une telle solution, peut représenter un point d’appui important à la résistance palestinienne, en balayant les régimes de la région qui ont intérêt à écarter toute solution réelle et anticolonialiste au conflit.
L’UCL milite pour le droit à l’autodétermination du peuple palestinien
Pour la résistance palestinienne, soutenue par la majorité de la population palestinienne, cette autodétermination implique :
- l’évacuation par l’armée israélienne de tous les territoires occupés depuis 1967 et la fin du blocus de Gaza ;
- le démantèlement de toutes les colonies et infrastructures coloniales en Cisjordanie ;
- le droit des réfugié·es au retour dans leurs foyers et/ou à une juste réparation ;
- l’égalité réelle des droits entre citoyen·nes arabes et non arabes en Israël ;
- le droit à la création d’un État viable à côté d’Israël. Garder la perspective, sur le long terme, d’un pays unique, laïque et démocratique, reste cependant une nécessité ;
- l’aide à la reconstruction de toutes les infrastructures détruites et de l’économie palestinienne.
Dans l’immédiat, l’Union communiste libertaire :
- réaffirme son soutien à la résistance palestinienne ;
- réaffirme son soutien aux anticolonialistes et aux réfractaires de l’armée israélienne ;
- condamne toute interprétation et revendication raciste ou religieuse liée au conflit en Palestine. Le racisme anti-arabe comme l’antisémitisme sont instrumentalisés par l’État israélien, par les courants sionistes pour justifier la guerre ethnique que l’État israélien mène, par les nationalistes-religieux, par les dirigeants et classes dominantes des pays de la région. Nous affirmons que la double lutte contre le racisme anti-arabe et contre l’antisémitisme est une clé essentielle de la résolution du conflit israélo-palestinien. Construire une alternative crédible et concrète face à l’antisémitisme est une condition essentielle pour affaiblir l’influence politique des courants sionistes ;
- appelle à la démilitarisation de la société israélienne.
- appelle à exercer des sanctions économiques sur l’État israélien colonial, d’une part par l’abrogation de l’« accord d’association » économique, militaire et scientifique entre l’Union européenne et Israël ; d’autre part, sans attendre, par le boycott des produits importés d’Israël via la campagne internationale Boycott Désinvestissement Sanction (BDS) ;
- appelle à l’arrêt de toute coopération militaire avec l’État d’Israël.