Orientation communiste libertaire : les luttes contre le chômage et les licenciements
Blocage des dividendes des actionnaires, reconquête d’une assurance chômage robuste, réduction du temps de travail avec embauches correspondantes, réquisition/autogestion des entreprises qui ferment, droit de veto des travailleurs et des travailleuses… La lutte contre le chômage doit se faire par la redistribution des richesses. La lutte contre les licenciements doit être l’occasion de remettre en cause l’arbitraire patronal.
Depuis la fin des années 1970, le prolétariat, en France, a appris à vivre sous la menace constante du chômage de masse, des plans de licenciements, des délocalisations d’usines, et au prix d’une précarisation toujours accrue du travail.
La plupart des licenciements et mises au chômage se font cependant à bas bruit, sans déclencher de grandes luttes collectives : ils frappent individuellement la masse des précaires (intérimaires, CDD, auto-entrepreneurs), ou bien les employé·es de PME peu médiatisées.
Traditionnellement, ce sont les salarié·es de grandes entreprises soumises à des restructurations qui, en menant des luttes spectaculaires – manifestations, usines occupées, « trésors de guerre » mis sous clef, cadres dirigeants séquestrés, reprise de la production ponctuelle ou durable par les grévistes –, peuvent mettre les licenciements sur la place publique, et en faire une question politique.
Agir pour ne pas tout perdre
Face aux plans de licenciements, la tentation existe toujours, parmi les salarié·es, de jouer profil bas en espérant que ça tombe sur les autres ou que le patronat se montre clément. Les faits démontrent que c’est toujours, à moyen terme, la plus mauvaise solution. Les exemples sont nombreux d’entreprises où les salarié·es ont accepté de rogner leur acquis sociaux en échange d’une promesse de maintien de l’activité… trahie au bout de quelques années. Céder au chantage à l’emploi est rarement un bon choix. À l’inverse, celles et ceux qui ont refusé tout recul s’en sont généralement mieux tirés, que l’entreprise ait fermé ou non.
Quelles que soient les revendications, les salarié·es, pour faire face aux patrons, aux décisions judiciaires et aux manœuvres de l’État, doivent créer un rapport de force. Occuper l’usine, attaquer les intérêts économiques du donneur d’ordres (boycott, occupation de filiales, blocage de l’acheminement des produits et des machines…), autant de pratiques permettant de se réapproprier l’outil de travail et de disposer de moyens de pression. Ce sont ces formes d’action directe qu’il faut promouvoir.
Il est également indispensable d’organiser la solidarité à l’extérieur : en allant voir les entreprises aux alentours, en sollicitant les organisations syndicales interprofessionnelles (unions locales, etc.), en allant rencontrer directement la population, les autres salarié·es, dans le voisinage…
Fédérer les luttes pour leur donner une visibilité
Fédérer les luttes contre les licenciements participe aussi à l’instauration de ce rapport de force.
Ça a été le cas en 2001-2003, avec la convergence des travailleuses et travailleurs de Lu-Danone, Marks & Spencer, STMicroelectronics, Daewoo, ACT Manufacturing, Thomson… Des manifestations nationales conjointes avaient été organisées, et un collectif, Résistance 2004, avait produit une plateforme revendicative contre les licenciements.
Ça a été le cas suite à la crise de 2008, autour de Goodyear, Continental, New Fabris, Philips, SBFM, Molex, Freescale, PSA, SKF, Renault, Ford… avec des manifs conjointes et la constitution d’un Collectif contre les patrons voyous et licencieurs.
Cela peut être de nouveau le cas avec la crise économique qui s’annonce, dans la foulée de la pandémie de coronavirus.
La signification politique des revendications
De par leur visibilité collective, les travailleuses et travailleurs des grandes entreprises jouent donc traditionnellement un rôle moteur dans l’opposition aux licenciements. Cependant, chaque contexte est particulier, et chaque collectif de travail a nécessairement ses propres problématiques. Pour que la convergence soit durable, il leur faut des revendications communes. Et pour que cette convergence des salarié·es des grandes entreprises joue plus largement un rôle catalyseur dans le prolétariat, il faut des revendications à même de répondre à l’ensemble des situations de chômage.
Dans tous les cas, l’UCL poussera vers des revendications alignées sur une idée directrice : le capital doit payer. Le capital n’est jamais que la somme des richesses matérielles et immatérielles produites par les salarié·es, et appropriées par les capitalistes. Assurer la subsistance de chacune et de chacun doit correspondre à une légitime redistribution des richesses en faveur du monde du travail et au détriment du capital. L’UCL poussera également vers des revendications mettant en cause la propriété privé et le pouvoir des capitalistes sur l’économie.
Peu importe que certaines revendications soient compatibles ou non avec le capitalisme à son stade actuel, dès lors qu’elles sont légitimes d’un point de vue révolutionnaire et qu’elle rencontrent un écho. Certaines sont des revendications « transitives » en ce sens qu’elles soulignent l’illégitimité du régime actuel et jettent un pont vers la société de demain.
Trois axes d’action et de revendication
1) Redistribution des richesses/le capital doit payer
L’UCL appuie les revendications qui contredisent l’idée que le chômage est la faute des chômeuses et des chômeurs, que l’arlésienne « croissance » va créer des emplois, et qu’il faut « travailler plus pour gagner plus ». Cela signifie l’appui au :
- partage du temps de travail salarié par sa réduction, sans réduction des salaires ni flexibilité, avec embauches correspondantes ;
- l’abaissement de l’âge de la retraite sans réduction des pensions, avec embauches correspondantes ;
- la défense d’une assurance chômage de haut niveau, impliquant la mutualisation des responsabilités patronales. L’idée est de créer une garantie interprofessionnelle, dans laquelle les droits seraient attachés à la personne salariée et non plus à l’entreprise pour laquelle elle travaille. Tous les droits acquis (ancienneté, formation…) seraient transférables d’une entreprise à l’autre. En termes de salaire, de carrière, de formation, chaque salarié disposerait de droits cumulés dont chaque nouvel employeur devrait tenir compte.
2) Contestation de la propriété privé et du pouvoir patronal
La revendication d’une « loi d’interdiction des licenciements », souvent brandie dans les mobilisations contre les licenciements, présente des limites évidentes : elle dépossède les travailleuses et les travailleurs, en remettant leur sort entre les mains de l’État. Or l’expérience de l’autorisation administrative de licenciement (1975-1986) a largement montré que la tendance naturelle de l’État, épousant le point de vue patronal, était d’avaliser les licenciements.
L’UCL poussera les revendications qui font prévaloir le pouvoir des travailleuses et des travailleurs sur l’arbitraire patronal :
- le blocage des dividendes des actionnaires des entreprises qui licencient.
- le droit de veto des salarié·es sur les licenciements collectifs. Il faut obtenir ce droit nouveau qui fasse obstacle à l’absolutisme patronal et qui permette de vraies garanties de reclassement, préalables à toute restructuration. Cette revendication transitive (en ce sens qu’elle porte en elle-même une remise en cause du capitalisme) pourrait devenir le slogan fédérateur d’un mouvement de contestation des licenciements. Elle trouverait par ailleurs un relais concret dans des occupations coordonnées d’entreprises et, le cas échéant, leur réquisition/autogestion.
Dans une perspective révolutionnaire, nous défendons l’expropriation des actionnaires sans rachat ni indemnités, par la socialisation des entreprises. Mais dans les périodes où les luttes restent isolées, les salarié·es peuvent spontanément revendiquer la nationalisation de leur entreprise pour maintenir leurs emplois. Dans ce cas, l’UCL leur apportera son soutien, parce qu’elle s’oppose sans relâche aux privatisations. Mais elle le fera de façon critique parce que la nationalisation, au contraire de la socialisation, n’est qu’une solution par défaut qui ne change rien à la gouvernance capitaliste.
3) Soutien aux expériences autogestionnaires
À plusieurs reprises, lors d’occupations d’usines, s’est posée la question de la possession de l’outil de travail, comme « trésor de guerre » et moyen de pression sur le patronat et les actionnaires. À ces occasions, on a vu l’amorce d’un débat sur la réappropriation de l’outil de travail.
Dans les situations les plus emblématiques (Lip 1973, l’Argentinazo de 2001, la Grèce de 2008), cela a pu déboucher sur la réquisition sauvage, en autogestion. Dans d’autres cas (Isotube/Marketube en 1975, Tower Colliery en 1995, Pilpa/Fabrique du Sud en 2013, Fralib/Scop-TI en 2014…), c’est le choix légaliste d’une reprise en coopérative qui a été opéré, parfois au terme d’un véritable bras de fer avec l’État et le patronat.
Certes, il serait absurde de faire croire que cette tactique peut être valable pour toute usine menacée de fermeture ou de délocalisation. Cette option n’est adaptée qu’aux entreprises qui sont dans un circuit court ou qui peuvent bénéficier dans leur secteur d’un réseau préexistant de coopératives. Il est trop facile pour le patronat de boycotter et de faire péricliter une usine sous-traitante reprise par ses salarié·es.
Pour tenir, la reprise par les salariés est plus facile dans les activités de niche économique où la concurrence est moins forte. Ou lorsque l’entreprise produit des biens directement accessibles aux particuliers, permettant l’organisation d’une campagne de solidarité populaire, réalisant la jonction production-consommation. C’est pour cette raison que, pour les entreprises dont l’utilité sociale est contestable, la question de la reconversion doit être posée.
Aux travailleuses et aux travailleurs qui, pour défendre leur emploi, emploieront cette tactique – de réquisition sauvage ou de reprise en coopérative – l’UCL apportera son soutien. Elle encouragera l’instauration de rapports autogestionnaires et égalitaires, la reconversion éventuelle vers une production socialement utile, et agira pour resserrer les liens entre les coopératives ainsi créées et le mouvement social.
Articuler toujours les luttes d’aujourd’hui à la société de demain
L’UCL n’oppose pas « luttes réformistes » et « luttes révolutionnaires », considérant que l’important est la conflictualité sociale en elle-même, en tant que ferment de la conscience de classe, et qu’aliment indispensable à tout projet révolutionnaire. Dans les mouvements de lutte contre les licenciements, l’UCL poussera donc vers les pratiques d’action directe et les revendications unifiantes développées ici, à la fois parce qu’elles vont dans l’intérêt du prolétariat, et parce qu’elles sont porteuses de remises en cause de l’ordre capitaliste et/ou de l’idéologie dominante.
À elles seules, ni les mesures de protection contre le chômage et d’entrave aux licenciements, ni la multiplication d’« îlots autogérés » ne permettront la rupture avec le capitalisme. Mais s’ils reposent sur l’action directe des dominé·es et exploité·es, s’ils entrent en résonance avec un imaginaire autogestionnaire et avec notre stratégie de construction de contre-pouvoirs durables, ces combats nourriront un projet de transformation sociale qui peut être le communisme libertaire.