Il y a 20 ans, la révolte des quartiers populaires
Il y a vingt ans, 400 quartiers populaires explosaient dans toute la France durant trois semaines et devenaient un sujet politique à part entière. Dix-sept ans plus tard, de nouvelles révoltes ont lieu après la mort de Nahel dans un contexte où les luttes, comme leur répression, ont progressé. Entre contradictions internes aux classes populaires, à la gauche et aux mouvements de l’immigration, retour sur les difficiles stratégies de construction d’un mouvement de masse.
La jeunesse dite « issue de l’immigration » et des quartiers populaires a eu de nombreux actes de naissance politique amenant une nouvelle génération de militantes et militants sur le devant de la scène. Le premier a été celui des Marches pour l’égalité de 1983, qui succèdent aux premières révoltes dites urbaines, les « rodéos des Minguettes » de 1981. Récupérées par SOS racisme et le clientélisme municipal, de nouvelles vagues de révoltes ont eu lieu entre 1990 et 2005. De nombreuses mobilisations des populations issues de la colonisation auront lieu (sur la mémoire coloniale, contre la double peine, pour la Palestine, productions intellectuelles et artistiques…). Politiquement, des organisations autonomes ont émergé comme le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), posant la question du continuum colonial, repris en 2005 par l’appel des Indigènes de la république. Ce dernier est lui-même une réponse aux réactions idéologiques qui accompagneront ces ébranlements de l’ordre symbolique colonial : la loi sur le voile de 2004 qui divisera profondément la gauche, et la loi sur le « rôle positif » de la colonisation.
Le déroulé des révoltes et ses conséquences politiques
La réaction sécuritaire avait, elle, débuté en 2002 avec Nicolas Sarkozy nommé une première fois au ministère de l’Intérieur et qui instaure la « tolérance zéro ».
Renommé ministre de l’Intérieur en 2005 et motivé par ses ambitions présidentialistes, plusieurs de ses propos publics méprisants feront monter la tension, comme ceux parlant de nettoyer la cité des 4 000 au karcher en juillet 2005 [[1]]. Sa venue sur la dalle d’Argenteuil, hué par les habitantes et habitants et où il déclare « vous en avez assez de cette bande de racailles, on va vous en débarrasser » a lieu la veille de la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois. Électrocutés dans un transformateur EDF en tentant de fuir la police, Sarkozy les accuse de cambriolage sur un chantier. Trois jours d’émeutes s’en suivent, puis une marche blanche semble calmer les choses. Mais tout est relancé par une grenade de police lancée dans une mosquée durant la prière, remettant le feu aux poudres, et voyant les révoltes s’étendre aux quartiers d’à côté, de Montfermeil, de Chelles dans le 77, et les jours suivants à tout le 93. La semaine d’après, c’est toute l’Île-de-France qui s’enflamme, puis l’émeute s’étend à toute la France, exprimant la reconnaissance d’une condition commune. Parmi les cibles visées, outre la police et les institutions étatiques ou municipales, seront notamment visées des entreprises et des écoles, lieux cristallisant les humiliations et le rejet. En parallèle à l’émeute, une prise de parole est arrachée à travers une ébullition de réunions associatives et de prises d’expression publique des jeunes et des habitantes et habitants au travers des médias qui ne se déplacent que lorsque ça brûle. Elles et ils y exposent les problèmes des relations avec la police, le poids des discriminations, de ne pas être considéré·es comme Françaises et Français (plusieurs jeunes présentent leurs cartes d’identités à la télé) et plus généralement les conditions sociales de vie et de pauvreté dans le quartier. Mais afin de contourner les explications sociales de la révolte, les explications culturalistes iront de bon train, mettant la responsabilité sur les familles, le rap, les islamistes, les dealers et… la polygamie ! De Villepin, alors Premier ministre déclarera l’état d’urgence le 7 novembre, mesure coloniale datant de la guerre d’Algérie. Jusqu’à cette annonce, l’ensemble de la gauche et les syndicats resteront silencieux.


