Duralex : Il y a écrit « coopérative » au fond de mon verre !
L’entreprise aux emblématiques verres vient de se transformer en coopérative. De la coopérative en système capitaliste à l’autogestion généralisée, il existe un écart important. Mais, comme nous l’invite son édition collector en partenariat avec l’entreprise Le slip français, ne faut-il pas voir le verre à moitié plein ?
Duralex est une entreprise ancienne, qui fabrique des verres « incassables » et quelques autres produits qu’on trouve dans les cuisines. Après avoir utilisé 15 millions « d’aides » de l’État, les patrons de la Compagnie française du verre ont décidé d’abandonner cette entreprise située à La Chapelle-Saint-Mesmin dans le Loiret. Une partie des salarié⸳es a travaillé sur une reprise en coopérative avec le soutien de la section CFDT, syndicat majoritaire, et de l’encadrement de direction du site. Considérant que la priorité était d’avoir des investissements, la CGT défendait pour sa part l’arrivée de nouveaux patrons avec un projet de reprise qui ne conservait que 183 personnes. C’est finalement sous forme de SCOP [1], en maintenant les 227 emplois, que la production a redémarré avec la bénédiction du tribunal de commerce d’Orléans en juillet dernier.
Inévitablement la question financière se pose. La mise minimale pour chaque « salarié⸳e-associé⸳e » est de 500 euros. Même si plusieurs d’entre elles et eux ont mis davantage, on est loin de la somme nécessaire pour que les banques n’acceptent d’accorder des prêts. Diverses institutions publiques ou groupes financiers ont participé au projet, ce qui n’est pas sans rappeler les précédents des coopératives Railcoop ou La Coop des Masques. L’argent public est « à nous », certes, mais lorsque ces institutions prennent part au projet, quelle place demeure pour les travailleurs et les travailleuses, voire pour les usagers et usagères ? Autrement dit : une alternative se dessine-t-elle, ou s’agit-il « seulement » de sauver les emplois dans le cadre du système capitaliste ?
Une partie de la réponse se trouve dans l’absence de remise en cause des inégalités salariales ou de la hiérarchie dans l’organisation du travail. Alors qu’elle serait nécessaire, la priorité parait plutôt être de « Diversifier l’offre de produits, étendre les marchés et développer les partenariats »… L’alternative ne pointe guère non plus à travers la campagne de soutien qui est lancée et son slogan « Allons enfants de la cantine » [2]. Ces limites n’empêchent cependant pas de soutenir ces travailleurs et travailleuses ! En régime capitaliste, la vente de la production est une étape essentielle. Alors autant supporter une expérience de reprise par les travailleurs et travailleuses (fusse-t-elle limitée sur le fond) que de soutenir de grands groupes ou des entrepreneurs avides de profit.
Altergestion capitaliste
Nationalisation, socialisation, autogestion, ces concepts ont imprégné des années de débats au sein du mouvement syndical. Des expériences ont été menées, des bilans ont été tirés. La gestion des outils de production directement par celles et ceux qui travaillent est possible. De réelles alternatives sont possibles, et pas seulement sous forme de slogans. Réapproprions-nous notre histoire, ne nous laissons pas imposer la vision de la classe dominante dont un des objectifs est de nous conduire à accepter comme fait acquis que « le capitalisme est la fin de l’histoire » ! [3]
Dans le cadre du système capitaliste, la gestion directe d’entreprises ou services est donc possible… mais pas l’autogestion. Car l’autogestion est un projet de transformation sociale de la société dans son ensemble, avec des modifications fondamentales en termes de pouvoir de décision, de classes sociales, de notions de hiérarchie et de responsabilité, etc. Il nous faut construire notre réflexion en intégrant cette nécessaire rupture avec le système capitaliste. Pour que ce soit utile, nous devons retrouver et inventer des revendications, des formes d’action, des organisations, des slogans, des exemples de luttes, qui rendent crédibles ces changements fondamentaux aux yeux du plus grand nombre et pas seulement entre nous.
Inventorier l’autogestion
À travers certaines résistances et luttes sociales actuelles est parfois posée la question de l’organisation du travail dans toutes ses dimensions : qui décide dans l’entreprise et dans chaque collectif de travail ? Que produire ? Dans quelles conditions ? Quelle utilité sociale ?… Ce ne sont que des interrogations, rarement des tentatives concrètes, nullement un mouvement de fond. Mais n’est-ce pas à nous de créer les conditions pour que celui-ci existe ? Comment réagir lorsqu’un projet va dans ce sens ?
Railcoop est une coopérative de transport ferroviaire créée en 2019. Elle a suscité des débats et des oppositions au sein de notre camp social. La chose n’était pas évidente puisque cela touchait un secteur encore public pour une bonne part et attaqué par la privatisation sous différentes formes. Railcoop pouvait ainsi être analysée comme participant à ces attaques. Ces initiateurs et initiatrices s’en défendaient, arguant de la nécessité de compléter un service public ferroviaire ne répondant pas à certains besoins et proposant de le faire à travers une entreprise « citoyenne », « sociale », etc. Exit Railcoop, mise en liquidation judiciaire en 2024.
La Coop des Masques proposait la remise en marche d’une entreprise fabricant des masques, alors que nous étions en 2020 au cœur de la pandémie de Covid-19. Au-delà du gain d’estime, cette coopérative n’a reçu quasiment aucun soutien des collectifs syndicaux, associatifs, politiques qui, pouvaient contribuer à son succès, ne serait-ce que par des commandes directes. Exit La Coop des Masques en 2022.
D’autres projets sont plus durables : La belle Aude (lancée en 2013), SCOP-TI des ex-Fralib (2014), ou encore L’Après-M (2020) [4]… L’association Autogestion [5] informe régulièrement sur ces projets et réalisations : son encyclopédie internationale de l’autogestion compte déjà 11 volumes. Le bulletin du Réseau de l’économie des travailleurs et des travailleuses (avec des articles en plusieurs langues) en est au dixième numéro [6] : il y a du matériel pour reprendre les débats et les réalisations.
[1] Évolution qui, comme dans bien d’autres cas, n’est pas que grammaticale : on est passé·es au fil des années des SCOOP, Sociétés coopératives ouvrière de production aux SCOP, Sociétés coopératives de production ou Sociétés coopératives et participatives.
[2] À commander sur le site Duralex.com.
[3] « There is no alternative » est un slogan attribué à Margaret Thatcher, Première ministre en Grande-Bretagne de 1979 à 1990, chantre de l’ultralibéralisme qui livra une guerre sociale intense contre les syndicats. Il symbolise le combat idéologique mené pour nous faire croire que le capitalisme, le marché, la mondialisation sont, non pas des choix politiques d’organisation de la société et son économie, mais en quelque sorte des phénomènes naturels.
[4] Scop-ti.info ; Labelleaude.fr ; Apresm.org.
[5] Autogestion.asso.fr
[6] Pour ces deux publications, voir sur Syllepse.net.