Assad est tombé : un moment d’espoir pour le peuple syrien
L’effondrement brutal du régime ouvre de grands espoirs. Mais une victoire armée ne fait pas une révolution. L’avenir démocratique et social de la Syrie dépend de l’orientation que vont adopter les vainqueurs du jour, du rapport de force avec les autres forces armées, des ingérences impérialistes en cours de repositionnement, mais surtout, et c’est crucial, d’un retour de l’expression et de l’intervention populaire qui avaient marqué les deux premières années de la révolution syrienne.
Point final d’une offensive éclair lancée le 27 novembre, l’opposition armée a pris Damas sans réelle résistance dans la nuit du 6 au 7 décembre. Privé du soutien de ses parrains russes et iraniens, Bachar el-Assad, héritier d’une dictature en place depuis plus de 50 ans, a fui le pays pour la Russie. Il est responsable de près d’un demi-million de mort·es en quinze ans et de la fuite de 6 à 7 millions de réfugié·es, résultats d’une politique d’assassinats et de bombardements y compris chimiques sur sa propre population.
Les prisons du régime, connues pour être parmi les pires du monde par l’emploi systématique de la torture et du viol, ont enfin été ouvertes. Les images de l’ignoble prison de Sadnaya donnent une idée de la barbarie atteinte par le régime d’Asssad. Les prisonnières et prisonniers, dont certain·es étaient coupé·es de tout contact avec l’extérieur depuis des décennies, ont enfin revu le jour. Le peuple syrien, sur place comme en exil, a laissé exploser sa joie et son soulagement après treize années d’une guerre civile épouvantable.
Ces années meurtrières, marquées par les multiples ingérences étrangères, trouvent donc un dénouement aussi rapide qu’inattendu. La fin du régime d’Assad est un signal fort envoyé aux peuples en lutte du monde entier : un autocrate peut se maintenir au pouvoir, semer la mort, mais la résistance finit par porter ses fruits. Il faut à présent espérer le redémarrage d’un processus révolutionnaire, dans lequel le peuple syrien soit pleinement acteur, ouvrant la possibilité d’un avenir démocratique.
La nécessaire intervention populaire
Tout le monde observe avec appréhension l’évolution revendiquée de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), issu du djihadisme, et qui se revendique aujourd’hui d’un islamisme dit « modéré », tolérant envers les divers groupes ethno-confessionnels qui composent la Syrie. Le fait que son offensive éclair n’ait pas entraîné de massacres, de pillages et de représailles sanglantes est un signe positif.
Reste à voir comment sa politique évoluera dans les actes, sous la pression croisée des différents impérialismes, et en relation avec les autres forces armées syriennes, notamment celles qui ne sont pas islamistes, comme les Forces démocratiques syriennes (FDS arabo-kurdes) et les forces reconstituées dans la région de Deraa, au sud. Mais aussi avec la société civile, c’est-à-dire l’opposition non armée, celle qui manifestait en 2011-2012, qui avait initié des comités populaires, mais a été décimée par une répression sanglante, puis réduite au silence et à l’exil. A n’en pas douter, elle exprimera de nouveau ses exigences démocratiques.
Le repositionnement des impérialismes
Pour ce qui est des ingérences impérialistes, chacun va chercher à profiter des événements :
- La Russie a fait une croix sur Bachar. Son objectif est à présent de conserver ses bases militaires sur la côte syrienne (Tartous, Hmeimim). La question reste de savoir si le nouveau pouvoir en place en Syrie y consentira.
- Israël a envahi la zone démilitarisée autour du plateau du Golan, annexé de facto, mais son objectif principal est de tarir le flot d’armement iranien vers le Hezbollah libanais, qui transite par la Syrie. Bachar arrangeait bien Israël : il était inoffensif, et Poutine autorisait Tel-Aviv à bombarder en Syrie les convois iraniens. Il est probable qu’Israël continuera à bombarder la Syrie où et quand il veut, avec l’approbation de Moscou et de Washington.
- La Turquie a un objectif prioritaire : détruire la gauche kurde et neutraliser l’Administration autonome de Syrie du nord-est (AANES). Ses soutiens de l’Armée nationale syrienne (ANS) attaquent Manbij, et occupent toujours le canton d’Afrîn et de larges zones dans le nord du pays et au Rojava.
- L’Iran, de même que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, semblent pour le moment hors-jeu.
- Les États-Unis ont également une présence militaire dans l’AANES, et une force armée à leur main dans le désert syrien (Al Tanf), pour combattre Daech – l’État islamique, qui est loin d’être mort et enterré –, et campent pour l’instant une posture d’observateurs de la situation à Damas.
L’espoir d’une alternative à la dictature et à la guerre
Si les FDS ont salué sans ambiguïté la chute d’Assad, elles peuvent vouloir défendre l’autonomie démocratique du Rojava durement acquise. Elle peuvent aussi proposer son extension. Le modèle confédéral démocratique expérimenté au Rojava peut inspirer la Syrie de demain, en alternative au modèle dictatorial policier sous lequel a vécu la Syrie pendant cinquante ans.
En réalité, rien n’est joué quant au modèle politique et économique d’un pays aujourd’hui à un tournant historique. Le pire serait la perpétuation de la guerre civile.
Depuis 2011, les communistes libertaires ont suivi attentivement les événements. D’abord en s’inscrivant dans la solidarité avec la révolution syrienne, puis en soutenant le Rojava et la gauche kurde. L’UCL continuera à travailler, échanger et soutenir l’ensemble des forces politiques syriennes portant en elles la volonté de construire un avenir démocratique, indépendant et égalitaire.
Les peuples vaincront et les tyrans tomberont, vive la Syrie libre !
Union communiste libertaire, 9 décembre 2024